Thème du congrès > Appel à contributions - sessions et communications

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Thème du congrès : Résister, renoncer ou réinventer ? Regards pluriels sur
les imaginaires et les pratiques pour une transformation sociale et écologique

 

Les reculs politiques en matière d’environnement interpellent à l’heure où de nouvelles limites planétaires sont franchies ou sont sur le point de l’être (cycle de l’eau douce, nitrate et azote, etc.). Les répercussions de ces franchissements se manifestent avec une intensité croissante sur les activités humaines et économiques (exemples : inondations meurtrières, incendies spectaculaires et difficilement maîtrisables), certains étant peu anticipables (comme l’apparition de points de bascule). Du fait de ces incertitudes, les organisations qui placent l’environnement, le développement durable et la justice sociale au cœur de leur projet économique et social sont aux prises avec des vents contraires et des injonctions paradoxales. Cela les contraint à des décisions fortes quant à leurs modèles économiques, leur capacité à maintenir leur activité et leur positionnement dans l’espace économique et social.


La 21e édition du congrès du RIODD s’inscrit ainsi dans la lignée des précédentes éditions qui interrogeaient les changements organisationnels et institutionnels en cours ou nécessaires en vue de répondre aux bouleversements sociaux et écologiques (Grenoble 2018, Lille 2023, Bruxelles 2024), et qui proposaient de mettre en lumière les traductions concrètes dans les  régulations économiques et sociales que cela induit, y compris les compromis trouvés et leurs capacités transformatrices (Montréal 2015, Toulouse 2025). Nous souhaitons questionner collectivement le rapport au changement des organisations et de l’action collective à partir d’un triptyque : « résister, renoncer ou réinventer ? ». 


En effet, jouant sur la polysémie de ces termes, il s’agit dans le cadre de cette 21e édition du congrès du RIODD d’interroger les processus économiques, sociaux et politiques, décisionnels et contestataires, sur lesquels reposent des positions de résistance et/ou de renoncement (au changement ou au non-changement) au sein des organisations prenant part ou ayant au cœur de leurs projets les transformations sociales et écologiques. Il s’agit aussi d’interroger les incarnations de ces positions tant en termes d’activités de production, distribution et consommation, que d’implications organisationnelles. Nous nous interrogeons ainsi tant sur le risque que certaines aboutissent à « réinventer la roue » ou « à tout changer pour que rien ne change » que sur la capacité
réellement transformatrice de ces positions.

 


Résister s’exprime évidemment dans l’action des mouvements militants, des lanceurs d’alerte et des citoyens engagés (Dubuisson-Quellier, 2018). Mais cette résistance se déploie également de manière plus discrète, par exemple par les choix de modalités de production de biens et services (non)-marchands ; y compris parmi les consommateurs eux-mêmes (Roux, 2022), et leurs formes d’expression collective. On pensera à la stratégie « Voice » chère à Albert Hirschman (1970), illustrée par le mouvement Extinction Rebellion (Berglund, & Schmidt, 2020), voire par des actions de sortie (« Exit ») allant jusqu'au sabotage (Scott, 1985). Résister, c’est aussi s’interroger sur la mise en œuvre de politiques environnementales jugées injustes ou  inéquitables pour certaines populations (exemple : Zones à Faibles Émissions) ou reproduisant des injustices structurelles (exemple : entre Nord global/Suds globaux). S’interroger sur la résistance à la norme juridique (exemples : désobéissance civile des opposant.es à l’A69, mais aussi, en sens inverse, recul sur les directives CS3D de l’Union Européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité ; mais aussi, en sens inverse, recul sur les directives CS3D de l’Union Européenne sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité).

Pour les acteurs économiques et institutionnels, les obstacles à la mise en œuvre de la transition sociale et écologique ne s’apparentent pas seulement à « une résistance au changement interne » : ils relèvent aussi du manque de ressources et, plus encore, d’une incompatibilité entre l’injonction à croître et l’impératif écologique, qui suppose une réduction de l’empreinte environnementale ’des processus de production de biens et de services, et donc un ralentissement, voire un arrêt de la croissance matérielle globale. Ainsi, la résistance peut aussi concerner l’usage des ressources et matériaux mobilisés par les activités économiques. Une double résistance même : celle qui cherche à freiner ces prélèvements et dégradations et celle qui s’oppose à ce changement, le rendant difficile ou paradoxal. Le système de recyclage des déchets est, par exemple, dépendant
d’une croissance continue de la production, notamment pour nourrir les dispositifs socio-techniques sur lesquels il repose (Monsaingeon, 2017). La question énergétique révèle tout autant la profondeur des dépendances matérielles : à ce jour, l’évolution historique du mix énergétique ne se traduit pas par une transition (au sens d’une substitution d’une source d’énergie par une autre) mais plutôt par l’ajout de nouvelles énergies aux précédentes (Fressoz, 2024; Mathis & Massard-Guilbaud, 2019). Portée par les promesses de la bioéconomie, la recherche d’un modèle socioproductif fondé sur des ressources renouvelables et organiques s’inscrit dans des effets d’irréversibilité, de dépendance au sentier et d’ancrages institutionnels territorialisés (Vivien et al., 2019). Dans l’agriculture, ces dynamiques peuvent accentuer tensions et vulnérabilités (précarité, destruction d’écosystèmes, perte d’autonomie) au croisement des milieux naturels et des besoins socio-économiques (Grouiez et al., 2023). « Résister » peut ainsi devenir une revendication à part entière lorsque la pérennité même des activités agricoles est menacée : par exemple, face à la dévalorisation d’infrastructures ou d’équipements devenus inutilisables (actifs échoués) ou face à de nouvelles contraintes réglementaires et sociétales, comme les interdictions de certains pesticides ou les contestations de leur usage (Brulé, 2009). Comment comprendre la construction et les effets du travail d'influence et de lobbying qui se met alors en œuvre, pouvant aller jusqu'à la désinformation ? Enfin, des formes de résistances académiques cherchent précisément à documenter ces dynamiques en défendant des pédagogies critiques et en articulant recherche, engagement et coproduction de savoirs avec des collectifs situés afin de rendre visibles des épistémologies plurielles et de légitimer d’autres manières de penser et d’organiser (Ramboarisata et al. 2022 ; voir par exemple le numéro spécial de la Revue de l’Organisation Responsable consacré à Décoloniser la RSE (2022, vol. 17, n°2, ici)).


Renoncer peut, de prime abord, surprendre. Les enjeux sociaux et environnementaux étant divers (types d’impacts, acteurs concernés), intriqués et multi-échelles, cette complexité peut en effet générer chez certains une angoisse, nommée éco-anxiété, particulièrement présente chez les jeunes générations (Brophy et al., 2022). Elle traduit non seulement la peur de la dégradation de l’environnement, mais aussi le sentiment collectif d’une incapacité à agir à la hauteur des défis. Ainsi, dans son ouvrage sur le « catastrophisme éclairé », Dupuy (2009) soulignait que pour susciter l’action il fallait que la catastrophe paraisse inéluctable, de manière à se coordonner pour faire face à un avenir problématique. Mais il avertissait aussi que l’ampleur des catastrophes ppouvait, au contraire, décourager toute action. Dans cette perspective, « renoncer » devient synonyme de découragement, voire d’acception d’une partie des effets de ces catastrophes.


Cependant, « renoncer » peut aussi revêtir une tout autre signification : l’abandon contraint ou volontaire d’un mode de vie, que celui-ci se décline individuellement ou soit ré-enchâssé dans une action collective (Bonnet et al., 2021). Dans le premier cas, le renoncement interroge tant en termes individuels que collectifs sur les conditions qui contraignent à l’abandon, sur les rapports de force et de domination que celui-ci révèle et sur les implications en termes de régulations économiques, sociales, politiques et écologiques. Dans le second cas, il s’agit d’un appel à la sobriété, dont le terme masque une variété de mises en pratique et dont toutes les formes ne résultent pas d’une négociation sociale des modes de consommation (Villalba & Semal, 2018). La tension entre une sobriété subie, souvent liée à des contraintes économiques et à des formes de non-consommation invisibilisées, et une sobriété choisie, valorisée comme engagement écologique et citoyen (Ezvan et al., 2025), éclaire les lignes de fracture sociale qui traversent les injonctions contemporaines au renoncement. Elle invite à reposer en termes de justice sociale et épistémique les conditions de possibilité d’une transition écologique réellement partagée (Bucolo, 2024). Comment et à quelle(s) échelle(s) imaginer et mettre en pratique un processus collectif de transformation, de « renoncement », qui embarquerait les populations sans laisser de côté les rapports sociaux dans lesquels celles-ci sont insérées ? Comment l’action publique et collective à ses multiples échelles peut-elle participer à ce processus ? Se faisant une place dans le débat public mais aussi dans les travaux académiques (Portier, 2024), la planification écologique apparaît comme une piste sérieuse (Durand & Keucheyan, 2024). Dans quelle mesure celle-ci, telle qu’elle se dessine actuellement, parvient-elle à organiser un changement socialement et démocratiquement négocié ? N’implique-t-elle pas, elle-même, un renoncement à des outils, hypothèses et cadres théoriques, voire une réinvention d’un imaginaire concernant son propre déploiement ?


Plus largement, le renoncement comme résistance peuvent se traduire par un choix de décélération à l'heure de l'accélération des sociétés (Rosa, 2010). Cette culture de l'accélération se diffuse partout : dans la circulation des biens et des services, nos déplacements, nos rythmes de travail, et même dans nos vies personnelles (Bessy, 2025). Pour autant, elle produit des effets économiques, sociaux et écologiques différenciés s’enracinant dans les inégalités, à l’image de la circulation des personnes et de l’industrie des transports (Illich, 1975). Alors que les temporalités de la nature, des sciences et de la société sont en crise (Cornu & Theys, 2023), ce rapport au temps se retrouve jusque dans les injonctions à agir pour la transition, à travers une quête parfois effrénée de sobriété ou encore les rappels fréquents de l'urgence à agir et à accélérer le changement. Pourtant, des résistances à ces changements de rythmes subsistent : des résistances issues de ce qui par nature ne peut être accéléré, des résistances à la décélération contrainte face aux conséquences non soutenables de l’accélération. Enfin, des décélérations volontaires s’incarnent notamment dans des mouvements de transition écologique et sociale proposant de repenser l’économique et le vivre ensemble, la prise de contrôle sur le financement de l’économie, la création de monnaie ou encore la revitalisation de l’économie locale. Si la réponse du capitalisme face aux enjeux contemporains (et notamment au changement climatique) tient essentiellement dans le développement de technologies, elles-mêmes ironiquement coupables du dérèglement des écosystèmes, ces mouvements de décélération souhaitent s’extraire de ce modèle dominant en repensant dans la société « des façons collectives de s’accorder et de créer des règles de coopération qui ne sont pas réductibles au marché et au commandement étatique » (Dardot, Laval, 2015). Ces résistances ouvrent des perspectives pour imaginer collectivement le monde de demain mais aussi porter un regard critique sur les changements d’échelle opérables pour ces mouvements.


Réinventer nos sociétés oblige à repenser en profondeur nos modèles de développement et de croissance (voir par exemple le numéro spécial de la Revue de l’Organisation Responsable consacré à l’entrepreneuriat (2025, vol. 20, n°3), ici). L’espoir placé dans le progrès technique et l’innovation a longtemps orienté des imaginaires collectifs et des actions publiques autour de « mythes rationnels », discutés hier et encore aujourd’hui (Aggeri, 2023). Ce terme fonctionne ici moins comme une catégorie analytique précise que comme une rhétorique de promesse destinée à légitimer des choix économiques et politiques. Toute la question est alors de savoir vers quelle définition du « progrès » ces discours conduisent et quelle perspective critique développer pour saisir que le pilotage de l’innovation, loin d’être neutre, oriente ces trajectoires. Ces définitions du progrès sont traversées par des rapports de connaissance et de puissance économique, des croyances partagées et des rapports à la technique qui configurent nos futurs (Ellul, 1954). Dans le contexte des crises écologiques et sociales, il devient nécessaire d’interroger l’essence même de l’innovation. Les travaux sur l’innovation sociale (Klein & Laville, 2014) et environnementale (Debref, 2018) montrent des déplacements de finalités (qualité de vie, soutenabilité) qui bousculent les canons productivistes. S’y ajoutent des propositions de cadrage alternatif : innovation « responsable » (Bachimon & Benamara, 2023), « de retrait » (Goulet & Vinck,  2024), « frugale » (Radjou et al., 2023), mais aussi innovation par le patrimoine. Ces approches ouvrent un espace pour, selon les situations, résister au solutionnisme technologique, renoncer à certaines options et réinventer des façons de faire. Plus largement, la variété des espaces où se discutent des rapports renouvelés à la connaissance, au progrès ou même aux manières de produire, consommer et s’organiser collectivement, invitent à s’interroger sur la capacité des cadres de pensée et épistémologies à rendre intelligible, de manière plurielle, les transformations sociales et écologiques à l’œuvre (Arnaud et al., 2023 ; Arnaud, Ramboarisata, 2024) ou que l’on souhaiterait voir se déployer (voir le numéro spécial de la Revue de l’Organisation Responsable consacré aux coopératives (2025, Vol. 20, n°1), ici).

À l’instar de résister et de renoncer, réinventer peut être mobilisé à la fois comme une catégorie analytique et politique permettant non seulement de questionner la transformation, mais aussi la refondation des pratiques (Pelluchon, 2018), des régulations économiques et sociales et des formes d’action collective. Penser et agir avec la nature (Larrère & Larrère, 2018), considérer le vivant (Pelluchon, 2018), ou entrer en résonance avec le monde (Rosa, 2021) sont autant de voies pour réinventer notre rapport au monde et nos manière d’agir. Ainsi, à la différence d’une adaptation ou d’une innovation incrémentale, la réinvention peut supposer une forme de rupture, un déplacement des cadres de référence. Pour autant, la réinvention est-elle à l’interface de la résistance et du renoncement ou se construit-elle, au contraire, contre ces positions ? Les propositions de sessions et de communications de cette 21e édition sont attendues autour de plusieurs axes de questionnements, ne se limitant pas à ce qui suit.


1) Interroger les activités menées et les trajectoires organisationnelles et collectives qui sont les supports de résistance, renoncement et de réinvention.

  • Comment caractériser les formes de résistance, de renoncement, de réinvention à l’aune du franchissement des limites planétaires ?
  • En quoi consiste le travail économique, social et politique des acteurs publics et privés impliqués (firmes, salariés, consommateurs, collectivités territoriales, acteurs collectifs de la société civile…) dans les processus de résistance et ou de renoncement et ou de réinvention ?
  • Comment ce travail est-il rendu possible ou empêché (Vezinat, 2024) par les institutions existantes ?
  • En quoi ces dernières peuvent-elles accompagner les actions de résistances ou de renoncement ou être transformées par celles-ci en retour ?


2) Caractériser les compromis et transformations qui se construisent à travers les résistances, renoncements et réinventions.

  • Les organisations et acteurs qui portent ces résistances et renoncements aboutissent-ils à des compromis pérennisant une activité économique et sociale telle qu’elle pré-existait (« business as usual ») et entérinent-ils les « insoutenabilités » (Boidin, 2024) ? 
  • Ou, au contraire, produisent-ils un changement complet des activités, des processus de création et de répartition de la valeur, des rapports aux filières, ou des modalités de prise en compte des exigences économiques, sociales et écologiques par les organisations (exemples : « bifurcations », nouveaux outils comptables, mobilisations sociales et territoriales contre certains projets) ? 
  • Quelles sont les grilles d’analyse les plus pertinentes pour penser ce que produisent des actions et activités aux prises avec des vents contraires ?


3) Questionner les rapports de force qui façonnent les actions, les organisations, les cadres de référence et épistémologies pour penser les questions économiques, sociales et écologiques. 

  •  Comment et par quels moyens réinventer un tout autre modèle dans un contexte où acteurs et institutions, autant dans les Pays du Nord que les pays du Sud global, sont contraints et sont traversés par une multitude de rapports de force économiques, sociaux, géographiques, politiques, géopolitiques ?
  • Les actions de résistance, de renoncement ou les propositions de renouvellement de l’action sont inscrites dans les sphères économiques et sociales, elles-mêmes encastrées dans la sphère environnementale (Passet, 1979).
  • Comment parviennent-elles alors à de nouveaux rapports sociaux à la nature (Douai & Vivien, 2009) et qu’est-ce qui les caractérise ?


4) Interroger les effets des bouleversements écologiques et sociaux sur le monde académique et explorer la manière dont le champ évolue et réagit à ces tensions.

  •  Comment la sphère académique, en tant que champ professionnel traversé par ses systèmes de valeurs, ses règles et ses débats et éprouvant à son niveau les vents contraires actuels, la sphère académique se retrouve-t-elle également en tension face aux enjeux écologiques et sociaux contemporains ?
  • Quelles formes de renoncements, réinventions ou résistances naissent aujourd’hui dans les communautés scientifiques, notamment à travers le renouvellement des formes d’engagement des chercheuses et chercheurs dans la cité1 (Naudier & Simonet, 2011), des collectifs, des pratiques, voire des prises de position ? 
 
 
Comme pour les précédentes éditions du Congrès du RIODD :
  • Il est possible de proposer des sessions thématiques en lien avec le thème du congrès ou avec la thématique large du lien entre organisations et développement durable. Nous recevrons les propositions de session jusqu’au 13/02/2026. Les appels spécifiques seront mis en ligne sur le site du congrès, aux côtés de l’appel à communication principal. Les communications liées à une session thématique seront à déposer sur le site avant le 10/04/2026 dans un onglet réservé.
  • Toute proposition de communication en lien avec l’appel à communication, ou plus généralementavec la thématique large du lien entre organisations et développement durable qui forme le cœur des travaux du RIODD sera étudiée. Le congrès propose une orientation thématique qui n’est pas exclusive.
  • Le congrès du RIODD se veut interdisciplinaire. Les recherches dans les champs des sciences humaines et sociales, des sciences de l’ingénieur et du vivant seront considérées avec un vif intérêt.
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